[1-8] Si quelqu’un est capable de bien comprendre / un conte et veut l’apprendre, / je vais vous en dire un qui peut / en valoir beaucoup d’autres; / je sens bien que les autres ont du sens, / mais voici celui qui a le plus de valeur / et il traite d’un sujet tel / qu’il sera toujours utile.
[9-24] Nous étions en septembre, / je m’en souviens parfaitement, / quand je donnai l’ordre à deux jeunes gens / à mon service de prendre deux faucons / et à un troisième de prendre un autour / (je n’en connais aucun qui le surpasse) / ainsi que les chiens et les lévriers. / Il y avait aussi de chevaliers, / une bonne dizaine, je crois, / montés sur des chevaux de prix; / ils voulaient se distraire / et choisir et distinguer / parmi nos faucons le meilleur / et le plus vaillant, / ainsi qu’éperonner nos chevaux / pour voir quel serait le meilleur pour jouter.
[25-48] Avant que nous ne soyons sortis / pour aller nous divertir, / voici qu’arriva un chevalier / qui avait l’air d’un pénitent. / Et personne de ceux qui virent cet homme / n’en avait jamais vu d’aussi distingué / ni d’aussi bien fait: / sous sa chemise, / il avait le buste mince, / les épaules larges, / les hanches développées, / les jambes, les pieds et les bras / bien faits et comme il convient: / il n’y a jamais eu d’homme mieux bâti! / Il avait le visage allongé / avec une expression aimable; / ses sourcils n’étaient pas trop longs / et d’un dessin parfait; / il portait les cheveux longs, bouclés, / ni trop bruns ni trop blonds; / son cou était long et bien fait. / Il avait la tête baissée / et avançait à un pas lent / comme s’il avait été fatigué.
[49-58] Sans adresser le moindre salut / ni prononcer un seul mot, / il prit la bride de mon cheval / et immédiatement / m’emmena à l’écart; / il avait un très bel aspect. / Après être resté un moment pensif / à la façon d’un homme affligé, / il m’exposa son problème / afin que je m’en occupe:
[59-80] «Seigneur, au nom de Dieu, je vous prie / d’avoir pitié de moi: / c’est d’un pays très éloigné / que je suis directement venu vous trouver / ici pour vous demander conseil, / car vous avez de la sagesse et du mérite; / je veux que vous m’aidiez par vos conseils / à me former en matière d’amour: / je suis épris d’une dame / pleine de beauté et de qualités, / mais j’ai l’impression qu’il n’est rien / que je fasse qui lui plaise. / Je vais vous parler franchement: / je veux mais ne sais pas aimer. / Je vous prie de m’accorder / de bien vouloir examiner / comment je suis et comment je dois être; / veuillez m’enseigner / comment me comporter / afin qu’elle daigne m’aimer / et qu’elle ne puisse trouver de raison / de me refuser.
[81-104] La conversation fut brève; / immédiatement, je dis à mes hommes: / «Messieurs, je vous en prie, par Dieu, / arrêtons tout pour aujourd’hui; / ramenez vos chevaux / dans leurs stalles. / Nous aurons d’autres fois l’occasion / de reprendre ce divertissement. / Pour vous, messieurs les fauconniers, / continuez à travailler / à l’affaitage des faucons / afin qu’ils soient efficaces demain; / vous, qui tenez l’autour, / occupez-vous de lui. / Affaitez-les de sorte / qu’ils soient en forme demain matin; / pour moi, je vais parler un peu / de divertissement et de joie / avec la personne que voici / et que vous ne connaissez pas. / Mais par la foi que je vous dois, / désormais nous ne serons pas trois, / mais lui et moi seulement: / nous allons rester seuls tous les deux.
[105-110] Alors, je mis pied à terre / et je pris la main gantée / du nouvel arrivant, / plein de mérite et de distinction / et lui dis ensuite / pour qu’il me comprenne bien:
[111-120] «Ami, remettons à demain: / tout ce que nous dirons / n’en sera que plus / assuré et plus solide. / Je vais vous expliquer pourquoi: / vous allez me dire votre nom / et si c’est celui que je crois, / le conseil sera parfait: / il est indispensable de savoir / en qui on place son espoir.
[121-130] Il me fut plus reconnaissant encore / de mes paroles qu’elles ne le méritaient; / il ne quitta pas la place / avant de m’avoir dit son nom, / les plus illustres de sa lignée / et tout ce qu’il avait dans le cœur. / Je ne l’eus pas plutôt entendu / que je reconnus qui il était: / ensuite je fis mille fois plus de cas / de lui que je n’en avais fait avant.
[131-157] Alors, nous commençâmes tous deux / à participer à notre guise / aux parties d’échecs et de trictrac, / aux chansons et aux récits; / il y avait là un millier de personnes / qui ne se souciaient de rien d’autre! / Nous y demeurâmes / jusqu’au coucher du soleil, / au moment où on nous invita / à nous lever pour aller manger / dans la grande salle / où se trouvaient la plupart des gens. / Quand nous eûmes mangé, / comme son voyage l’avait fatigué, / nous allâmes dormir, / car c’était ce qu’il désirait. / Nous avons dormi paisiblement / jusqu’à l’aube du jour: / le prêtre nous fit dire alors de venir écouter la messe. / Quand nous l’eûmes entendue / et que le prêtre l’eut achevée, / nous partîmes déjeuner, / car on l’avait fait préparer: / c’était Bidaut, mon connétable, / un homme d’une valeur éprouvée / qui s’y connaissait en nourriture.
[158-168] Pour moi, je me levai / et emmenai mon ami, / cet homme dont je vous parle; / nous quittâmes la salle ensemble / et descendîmes l’escalier, / lui et moi seulement: / il n’y avait que nous deux. / Nous entrâmes dans un verger / où je le fis asseoir face à moi / à côté d’un laurier / et je commençai à lui parler:
[169-194] «Mon ami, apprenez donc / ce que vous m’avez demandé. / Je ne vous parlerai pas du tout / de richesse ni de grande intelligence, / car il s’agit là de deux choses / dont je ne me soucie guère, / mais contentez-vous d’avoir / une belle joie, une bonne / éducation et de l’audace, / car ce sont trois qualités. / Pour moi, mon ami, jamais / je ne me suis occupé d’amour / avant d’avoir tout appris, / sans la moindre exception, / sur les premiers amoureux / qui ont éprouvé le plus d’amour, / qui en ont gagné / et conquis le plus. / J’ai appris cela quand j’étais jeune / d’un maître ès amours / qui me l’a si bien enseigné / que je n’ai jamais commis d’erreur en la matière; / et vous, apprenez-le ici / de moi plus agréablement, / car je vous en ferai apprendre / tous les mots, petits et grands.
[195-200] Vous apprendrez comment / sire Pâris fit la conquête d’Hélène, / ses peines, ses souffrances, / ses soucis et ses exploits / tels que je les connais tous / sans qu’il ne m’en manque un seul mot.
[201-208] Apprenez de sire Tristan / qui avait bien autant de valeur que lui! / Par la foi que je vous dois, / personne n’a été aussi amoureux / et n’a mieux agi comme il plaît / à Amour et comme il le veut: / c’est ce que vous direz vous-même / quand vous l’aurez appris.
[209-216] Apprenez d’Enéas: / n’allez pas oublier celui-là, / car il ne faut vraiment pas le faire / pour peu que vous pratiquiez l’amour: / si vous en saviez autant que lui, / dès aujourd’hui, / vous pourriez facilement prier d’amour / une dame et la conquérir.
[217-232] Sachez de Linaura / à quel point il suscita le désir, / comme toutes les dames / l’aimèrent et en furent friandes / jusqu’à ce que le mari perfide / le fît tuer lors du rendez-vous / en recourant à une grande traîtrise. / Mais ce fut bien dommage / que Massot entendît cela: / il le fit, je crois, écarteler, / divisé en quatre quartiers, / par les quatre maris. / Celui-ci fut le maître / dans son office / jusqu’au jour où il fut trahi / et tué par les jaloux.
[233-250] Sachez parler, / d’Yvain, le fils du roi, / car se montra plus gracieux / qu’aucun homme au monde: / la première fourrure de zibeline / que l’on ait portée, / c’est lui qui l’a mise sur son manteau; / attaches, fermail, / cordelette à la tunique, / œillet à l’éperon, / boucle au bouclier, / c’est lui qui les a eues, nous le savons tous; / les gants dont on se couvre les mains, / c’est lui qui les a portés le premier. / En ce temps-là, les dames / l’aimaient toutes / et le chérissaient / bien plus que je ne vous le dis.
[251-280] Sur Apollonius de Tyr, / sachez conter et dire / comment il fit naufrage / avec tous ses barons, / et perdit en mer tous ses hommes / sans la moindre exception; / mais il conserva en son pouvoir / tout ce qu’il put préserver / en y mettant toute ses forces: / uniquement sa propre personne. / Puis il gagna la terre / où il dut rechercher / de la nourriture pour survivre / comme un pauvre déshérité. / Il subit tout cela par amour, / mais il lui en revint ensuite une grande faveur, / car l’amour lui rendit de ce côté-ci / plus qu’il n’avait perdu là-bas, / vu qu’il ne recherchait pas l’amour / de celle qui avait le plus de valeur; / mais il la désira très fort / et jamais il ne lui demanda son amour / qu’avec de belles paroles; avec ses actions, / il lui portait de tels coups / au cœur que peu s’en fallut / que la dame n’en mourût. / Il l’eut comme il le voulait / et en fit à son plaisir; / il redevint un roi / puissant, riche et renommé.
[281-290] Ayez des connaissances sur le roi Arthur: / je sais qu’il vous apportera plus d’aide / car il n’est jamais mort, / il n’a jamais disparu / et il ne disparaîtra jamais / tant que ce monde durera. / Il vit toujours par amour, / dans la joie et dans l’honneur, / car il sait tout ce qu’il en est / et tout ce que Dieu nous en a fait savoir.
[291-302] Apprenez cela tout de suite, / puis apprenez-en encore plus, / car je vous en ferai apprendre / tous les mots, petits et grands. / Quand vous saurez cela, / vous saurez presque tout; / alors vous serez le maître / des dames et de l’amour / et vous en retirerez un grand mérite / si vous ne vous l’enlevez pas vous-même. / Si vous voulez être un amant, / faites preuve d’intelligence.
[303-340] Vous apprendrez encore davantage / si vous observez l’usage de l’amour. / Veillez à votre propreté / et à l’élégance de vos vêtements; / que vos habits soient coûteux ou non, / faites-les bien arranger. / Qu’ils soient de prix élevé ou bas, / qu’ils vous aillent parfaitement: / tout chevalier de mérite / doit s’habiller avec le plus grand soin: / comme elles sont seyantes, des chemises / de Reims, fines / et toujours blanches; / elles vous feront paraître davantage / courtois et bien élevé / dans tous les endroits où vous irez. / Mettez des vêtement ajustés / sur vos pieds, vos jambes et vos bras; / portez aussi ajustés votre surcot et vos manches / de sorte que les étrangers / et tous les gens qui vous verront / vous en portent envie. / Quand vous vous ferez faire / une tunique neuve, prenez garde / qu’elle ne soit pas trop longue / pour qu’elle soit ainsi plus élégante; / faites faire l’encolure / à travers, avec un capuchon / ample sur le dessus des épaules, / car ainsi la poitrine sera mieux couverte; / et je vais vous en dire la raison / et faites-en votre profit: / afin qu’on ne voie rien / sur la poitrine qui n’aille pas bien. / Faites fabriquer le manteau du même tissu / et veillez à ce que le fermail / y soit bien à sa place / avec la boucle par devant.
[341-356] Prenez soin de vos cheveux: / ils donnent du prix à quelqu’un. / Lavez-les assez souvent / pour qu’ils soient encore plus beaux, / mais ne les portez pas trop longs / car on les apprécie davantage / lorsqu’ils sont un peu tondus / que si on les laisse pousser trop longs; / ne portez pas de longues moustaches / – ce n’est pas beau, sachez le! – / ni non plus la barbe trop longue, / car mieux vaut l’arranger un peu; / évitez de la porter épaisse, / car ce serait encore pire: / portez-la sans excès et avec mesure / et prenez-en bien soin.
[357-370] Maîtrisez bien vos regards et vos gestes / afin de ne pas sembler grossier: / les yeux et les mains sont bien souvent / les messagers du cœur. / Gardez-vous prudemment que vos yeux / n’aient le regard stupide / et de même veillez à ce que vos gestes / expriment l’intelligence. / Si vous voyez quelque chose de gracieux / qui vous fasse envie / entre les mains d’autrui, / n’allez pas le lui prendre, / car lui aussi la désire / et il vous considérerait comme un fou pour cela.
[371-384] Il est bon que vous ayez / des écuyers pour vous servir. / Ayez-en deux qui soient avenants, / beaux, sages et vaillants; / quoi qu’il en soit de ceux d’autrui, / que ceux-là soient convenables, / courtois, bien élevés, / et qu’ils s’expriment bien. / Ces gens sont utiles afin / que vous en tiriez bonne réputation: / si vous les envoyez quelque part, / qu’on ne puisse pas en plaisanter, / car on dit à propos de sottes gens: / «tel seigneur, telle troupe!»
[385-408] Quand vous serez chez vous, / je vais vous dire comment vous comporter / si vous avez des hôtes étrangers: / soyez pour eux un bon compagnon, / admettez-les auprès de vous / et à vos passe-temps; / sachez leur faire bon accueil, / les inviter et les servir. / S’il vous arrive quelqu’un de pauvre, / dans le besoin et la misère, / n’attendez absolument pas / qu’il quémande quelque chose. / Que ceux qui accepteront votre invitation / soient servis à la perfection / par vous comme par les vôtres, / et comportez-vous en bon hôte avec eux. / Faites-leur donner à se restaurer / en fonction du moment de la journée; / mais, par tout ce que vous avez jamais vu, / ne faites pas vous-même le service / une fois qu’on a commencé à manger, / car ce serait là une faute: / vous vous tiendrez à une bonne place / à table, près du feu.
[409-432] Que votre richesse soit à votre honneur / et que vos serviteurs / soient bien instruits / et bien éduqués. / Pendant le repas, / qu’on ne vienne jamais vous parler, / car si l’on vient vous chuchotter quelque chose / ou vous parler à l’oreille, / cela semblera signe de pénurie / ou sinon d’avarice. / Avant que vous ne passiez à table, / donnez-leur des instructions / de sorte que vous ayez jusqu’au lendemain / tout ce qui sera nécessaire; / qu’ils aient assez de chandelles et de bon vin / pour tenir jusqu’au matin. / Pour les chevaux et les écuyers, / faites-en prendre soin au mieux; / que ne leur fasse jamais défaut / chose dont ils aient envie, / car, s’ils ont faim ou soif, / il vous en reviendra toujours des plaintes: / et il ne convient pas qu’un amant fasse / les choses autrement qu’à la perfection.
[433-454] Et lorsque vous serez à la cour, / vous ne ferez pas le sourd: / si vous voulez m’écouter, / soyez large dans vos dépenses / et pratiquez généreusement l’hospitalité, / sans porte ni clef. / Ne croyez pas les flatteurs perfides: / ne mettez pas de portier / qui donne des coups de bâton / à quelque écuyer, valet, / gueux ou jongleur / qui veuille y entrer! / Ne portez pas envie / aux riches avares / qui se dérobent en cachette / lorsqu’ils sont entrés à la cour: / au Seigneur Dieu ne plaise / qu’une cour se disperse à cause de vous / parce que vous auriez été le premier à en partir: / soyez au contraire toujours le dernier à le faire! / Et montrez-vous hospitalier / envers tous également!
[455-478] Et payez toujours avec largesse / ce à quoi vous vous êtes engagé. / Si l’argent vient à vous manquer, / jouez volontiers; / jouez à un jeu plus grand, / car c’est ce jeu-là qui est honorable: / les jeux de hasard ne conviennent / qu’à un homme avare / qui, pour un denier, lance / cent fois les dés sur la table. / Celui qui est capable d’abandonner les dés / après les avoir pris en rabaisse tout son mérite: / voilà pourquoi je vous ordonne / de vous en tenir au grand jeu. / Ne vous mettez jamais en colère / quelles que soient vos pertes / et ne changez pas de place / afin qu’on ne puisse jouer, / et ne tordez pas vos mains / comme si vous étiez fou; / ne laissez pas voir votre colère / quoi que vous puissiez entendre: / si vous le faites, le jour même / vous renoncez à être un amant!
[479-506] Apprenez encore une chose, / si vous voulez être joyeux. / Ayez un bon cheval / et je saurai vous dire comment il doit être: / il faut qu’il soit un bon à la course / et habile aux combats; / emmenez toujours ce cheval / avec les armes tout près: / qu’il connaisse la lance, / le bouclier et le haubert. / Il faut qu’il soit bien éprouvé / et surtout pas lâche; / équipez-le avec soin / d’une selle, d’une bride / et d’un beau poitrinal, / de sorte que tout soit convenable; / faites faire la sous-selle / avec les mêmes armoiries que la selle / et avec la même couleur / dont sera peint le bouclier / et qu’il y ait à la lance une enseigne / [...] / Ayez comme animal de bât un roncin / qui porte votre haubert à doubles mailles / avec les armes par-dessus afin qu’elles voyagent / dans de meilleures conditions; / faites en sorte que vos écuyers / soient sans cesse auprès de vous.
[507-526] Maintenant je vais vous dire la raison / exacte pour laquelle je vous dis d’avoir cela: / sachez-le, il n’est pas en bonne situation / celui qui n’a rien à lui: / qu’il s’agisse d’aller à la cour ou à la guerre, / il aura besoin de quémander / tout ce qui lui sera nécessaire: / ce ne sera jamais un homme courtois! / C’est pis que de souffrir de fièvre / que de devoir tout emprunter, / car une dame ne veut pas / d’un amant qui en a vite assez / de la guerre ou de la cour, / et qui doive s’en remettre au sort, / mais d’un amant dont les actes / accroissent toujours plus son mérite. / Loin d’avoir honte de celui-ci, / la dame en est plus fière: / s’il lui demande son amour, / elle n’est que plus rapide à lui répondre.
[527-540] Apprenez encore une chose, / mon ami, si cela ne vous ennuie pas: / aimez la chevalerie / plus que toute autre richesse / et attachez-y votre cœur / plus qu’à tout autre plaisir. / Dans les rencontres imprévues, / faites preuve d’habileté / et ne vous laissez effrayer / ni par les cris ni par le tumulte. / Soyez le dernier à revenir / et le premier à frapper: / voilà ce que doit faire / un amant qui soutient l’amour.
[541-556] Quand vous participerez à un tournoi, / si vous voulez m’en croire, / ayez habituellement avec vous / tout votre équipement: / le haubert, le heaume doublé, / les chausses d’acier / et au côté votre épée / afin de frapper de grands coups; / sur le cheval, vos armoiries / et, devant, au poitrinal, / de belles clochettes coulées, / bien disposées et bien assurées, / car les sonnettes ont coutume / d’apporter de la joie: / de l’audace au seigneur / et aux autres la peur.
[557-573] Le premier à la poursuite / et le dernier à la fuite, / voilà tout ce que doit faire / un amant qui soutient l’amour. / Evitez soigneusement / blessures et pertes. / Une fois que vous aurez piqué des éperons, / ne revenez pas sans avoir livré combat; / que ce soit contre un ou deux adversaires, / il vous faudra assurément livrer combat. / Si votre lance vient à vous faire défaut, / souvenez-vous bien / de dégainer votre épée / sans aucun retard: / frappez de grands coups puissants / de sorte que le sachent Dieu, / l’Enfer et le Paradis.
[574-582] Frappez de cette façon-là, / car, pour moi, c’est par ce moyen, / que, depuis que j’ai été fait chevalier, / j’ai conquis l’amour de nombre / de dames belles et bonnes! / E si vous voulez savoir / si c’est la vérité que je vous dis là, / je veux bien vous dire de qui il s’agit, / comment elles se nomment et d’où elles sont.
[583-620] D’abord, j’ai certes fait la conquête / – je ne cherche pas à vous le dissimuler – / de la sœur de sire Girard, / et j’ai couru là bien des risques; / ensuite, de ma Seguin / qui m’accorda une si grande intimité / – au grand déplaisir de Dame Estanava – / qu’elle m’étreignait et m’embrassait. / Ensuite, j’ai encore conquis, / ce qui doit m’emplir de joie, / Madame Escaronha, / la plus parfaite de la Gascogne; / après Dame Pagana, / la plus parfaite chrétienne / qui soit dans tout l’univers / que délimite la mer profonde, / j’ai conquis mon Beau-Bezart / qui s’est emparée de moi: / je n’ai jamais éprouvé pour personne / le quart de l’amour que j’ai eu pour elle. / Puis ce fut la fille de sire Alphonse / que, en dépit du jaloux, / j’ai conquis pour mon plus grand honneur / et j’ai gagné son amour. / Mais pour ce qui est de Mon-Jaloux / dont j’éprouve le désir, / elle fait si bien que je mourrai d’ici peu / si je ne lui donne pas un baiser avant un mois; / celle qui réside à Mont-Paon, / une dame au beau visage, / m’a donné deux cents baisers / joyeusement, ce qui cause ma gaîté. / Puis j’ai conquis dans le pays de Toulouse / plus que n’a fait aucun chrétien: / Madame Gauzion, / à qui le souverain Dieu veuille accorder / une bonne place en Paradis / pour l’amour de ceux qui l’aiment fidèlement.
[621-624] Je pourrais en citer davantage, / mais je ne veux pas trahir / celles qui m’ont accordé / leur amour en cachette.
[625-628] Chevalier, mon cher ami, / vous qui êtes courtois, vaillant et puissant, / je veux que vous soyez désormais riche / de cet ensenhamen.
3 un] .i. 4 d’autres] s à l’interligne 12 dos] .ii. 13 tertz] .iii.; un] .i. 17 detz] .x. 23 pondre] pçdre 27 un] .i. 38 mielhs] s à l’interligne 53 una] .i. 55 un] .i. 67 una] .i. 76 maestre] maistre 82 meus] seus 97 un] .i. 101 us] vos 120 met] suit un h exponctué 125 linhatje] e à l’interligne 129 mil] .m. 135 mil] .m. 165 un] .i. 166 un] .i. 178 tres] .iii. 200 un] .i. 207 diretz] duetz; mezes] mezeis 227 catre] .iiii. 228 catre] .iiii. 240 tessel] tesselh 250 dic] à l’interligne 264 un] .i. 287 vieu] nicu 347 un] .i. 352 conja] recôia 353 ayatz] nô ya 355 gent et] gentet 366 fassa] fassai avec i exponctué 383 fada] fal 393 venon] vezon 398 sian] siaq¯ 463 un] .i. 464 cent] .c.; un] .i. 481 un] .i. 486 depres] de pres 502 doblier] r à l’interligne 503 la lansa el escut / el auberc conogut, répétition de 509 be] à l’interligne 511 cort] tort 565 un] .i.; dos] .ii. 572 Deus] dieus 575 menstiers] s à l’interligne 589 N’Astanava] nastanava 609 morrai] i à l’interligne 613 docent] .cc.
Testo: Gouiran 2014. – Rialto 25.i.2014.
Ms.: R (unicum).
Edizioni critiche: Carl Appel, Provenzalische Chrestomathie mit Abriss der Formenlehre und Glossar, Leipzig 1895, p. 163 (CXII); Giuseppe E. Sansone, Testi didattico-cortesi di Provenza, Bari 1977, p. 109 (II); Gérard Gouiran, Rialto 25.i.2014.
Metrica: Distici di senari a rima baciata.